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Covid et moi

Dimanche premier novembre

Il pleut. Les carreaux de mes fenêtres sont sales sur les toits des immeubles dégueulasses. Camaïeu de gris et de marron.

Je suis presque guérie. Je le sens, je vais mieux. C’est ce que je me suis dit ces trois derniers matins. Je l’ai regretté une heure plus tard. Je ne savais pas qu’on pouvait se fatiguer aussi rapidement. Hier, j’ai fait une sieste après ma douche, j’en pouvais plus. Demain, je reprends le yoga. Demain est un bon jour.

Demain, lundi, je ne reprendrai pas le travail. Je fais partie de ces nombreuses personnes dont le boulot est de créer du fun dans votre vie. Nous sommes la vaseline de vos semaines. Mais ils ont dit que maintenant, tout se ferait à sec.

Demain, je ne reprends pas le travail, mais… Quand certains de mes employeurs font le choix de négocier un remboursement des ateliers qui ne seraient pas donnés, d’autres décident de faire des propositions de remplacement. Je ferai donc certains de mes ateliers en visio, et quand le confinement sera fini, et que nous aurons le droit de reprendre notre activité, nous travaillerons le week-end.

Pour l’instant tout me parait insurmontable. Mais j’ai fait des progrès, je ne pleure plus en l’envisageant. Une amie m’a dit que le covid (oui, le covid, merde) pouvait avoir une influence directe sur le cerveau et pouvait créer des dépressions, et même un SSPT. Je ne parle pas de l’augmentation des dépressions du fait des conséquences psychiatriques du confinement, mais bien d’une action du virus sur le cerveau et aussi de la réponse immuno-inflammatoire ayant un effet déclencheur sur les maladies mentales.

« La dépression, le trouble bipolaire, la schizophrénie et les troubles du spectre de l’autisme sont notamment associés à une augmentation des marqueurs de l’inflammation dans la circulation périphérique et le système nerveux central » Marion Leboyer, psychiatre et directrice de FondaMental, qui souligne la nécessité d’un suivi rapproché et d’une prise en charge précoce.

Tout ça pour dire que je n’allais pas bien avant, maintenant, j’avoue que j’ai peur. J’ai peur de ne plus avoir la force de rien. J’ai peur de sombrer. J’ai peur de sombrer mentalement et économiquement. Je fais partie des travailleurs précaires. Vous savez, ces feignasses qui devraient bosser au lieu de vivre aux crochets de la société. Et bien moi, feignasse, excepté le fait que personne ne voudrait de moi en dehors de mon champ de compétence (on se demande pourquoi.) je n’ai droit à rien. Le système de protection des salariés, je ne le connais pas.

Je ne suis payée que pour les heures effectuées. Si mon employeur me donne 10 heures, je suis payée 10 heures. S’il ne m’en donne que 3, je ne suis payée que 3. Il n’a aucune obligation. Pas de minimum horaire, pas de préavis. Lundi, s’il le veut, il peut me dire, merci Aude, tu peux rentrer chez toi, et je rentrerai chez moi. En fait non, parce que lundi, quoiqu’il arrive, je serai chez moi, puisque je n’ai pas le droit de travailler. Je n’ai pas de congé payé, j’ai du chômage. Heureusement que mes employeurs ne sont pas des enculés de leur race maudite, que voire même, ce sont des gens bien, voire dans la même galère (ou pire, ils ont des responsabilités que je n’ai pas) qu’ils font de leur mieux pour maintenir le bateau à flot.

J’ai encore droit à 300 jours de chômage à 19 €. Ensuite, il ne me restera que le RSA pour vivre, ma fille et moi. Chouette ! Si je fais une dépression, un burn-out, un effondrement, un glissement dans le vestibule des enfers, mes indemnités journalières ne paieront pas mon loyer. En forme, ou pas, il faut que je bosse. En forme, ou pas, je dois être fun, à l’écoute, pédagogue, avoir une putain d’énergie pour vous permettre d’oublier votre merde perso. Durant 2 heures, vous donner des ailes pour vous envoler au pays magique de l’imaginaire, de la joie et du partage. Et j’ai peur. Peur de ne plus y arriver, de sombrer, de couler.

Je regarde par la fenêtre, la pluie a cessé. Quelques mouettes ont repris leur vol au dessus des miettes de pain détrempées. J’ai du mal à respirer. Mais je vais mieux qu’hier, je ne pleure pas.

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