Petit délire antique

« Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle. J’habillais mon fil en esclave, le serrais dans mes bras et le laissais à la garde de ma nourrice, l’abandonnant pour lui sauver la vie.
J’avais refusé de rester cloîtrée dans mes appartements, où je savais qu’on viendrait m’y chercher. Je courrais de pièce en pièce me cachant derrière des tapisseries, ou profitant de la cohue pour m’échapper encore. Je fuyais en tous sens, sans logique ni raison. Je savais que c’était perdu d’avance, on connaissait mon visage, mais chaque seconde de répit était une victoire contre l’inéluctable. Je soufflais un instant, dissimulée par un pilier au pied duquel expirait un des hommes de la garde. Kurios le fidèle. Je lui tins la main et chuchotais une prière. C’est alors que je le sentis avant de le voir. Je levai les yeux, inquiète. Comment décrire cette horde sauvage ? Elle se déplaçait dans une étrange harmonie macabre. Leurs yeux étincelaient à la lueur du palais brûlant, leurs poitrines luisant de sueur, leurs épées tendues devant eux, assoiffées du sang de leurs ennemis. A leur tête, Pyrrhus, au regard implacable, au corps immense musculeux, le roi d’Épire auréolé de gloire sanglante, sur tous mes frères morts se faisait un passage. Songes aux cris des vainqueurs, entends les cris des mourants. Imagine moi, dans ce cauchemars, hagarde, à bout de souffle, vaincue. Je restais interdite, alors que j’aurais du fuir. J’étais ensorcelée. Je lâchais la main de Kurios en me levant. J’avais décidé de me livrer, me rendre à mon maître. Mais je sentie qu’on agrippait mon pied. Je me tournai vivement, arrachée à mon mirage. Kurios, que je croyais mort me fixait fiévreusement. Dans un hoquetèrent sanglant, il m’adjura de me sauver. Je crois que le dégout eu plus de prise que le bon sens. Je disparu entre deux tentures. Je courrais ainsi sans but, de cachettes éphémères en recoins aléatoires. A bout de force, je m’allongeais au milieu des dépouilles inertes de quelques soldats, espérant pitoyablement voler quelques heures à une mort certaine. Éreintée, brisée, rompue, je m’endormis.
Rêvant d’un paradis perdu, je m’éveillais en sursaut, au milieu de draps immaculés. Pendant un instant je crus que le rêve était réalité, et la réalité cauchemars. Mais rien ne coïncidait. Les voiles du lit dans lequel je reposais, n’étaient pas les miens. L’odeur d’Hector, mon époux manquait à mes côtés. Je n’étais plus Andromaque princesse troyenne, mais une prisonnière, une catin. Tout me revenait. J’étais en vie, peut être aurai-je du mourir. Et mon fils, Astyanax avait-il survécu ? Ma chère nourrice l’avait elle soustrait à la furie des combat ?
Une jeune esclave entra à cet instant. Son peplos rudimentaire, agrémenté d’une ceinture joliment ornée, laissant apparaître une cuisse longue et fine, ne laissait aucun doute sur ses fonctions. Je la regardais avec défiance, ne sachant si elle me sortirait du lit par les cheveux, ou me témoignerait la déférence due à mon rang. Elle garda les yeux baissés pendant tout le temps qu’elle arrangea la chambre. Déposant des vasques de fleurs séchées, du vin, des corbeilles de fruits, et un couteau. Elle ne m’adressa pas un même un coup d’œil, et disparu aussi silencieusement qu’elle était venue. Je n’osais m’aventurer hors de la couche, comme si une quelconque initiative de ma part aurait le pouvoir de déclencher le pire. Ne l’avais-je pas déjà vécu ? C’est alors qu’il entra. Je ne le reconnu pas d’abord, sans le sang lui couvrant le visage. Il me dévisagea, de cet air implacable que je lui avais vu la veille, la même incandescence s’empara de mes chairs. Mon cœur se serra en même temps que mon bas ventre s’ouvrait. De honte plus que de pudeur, je me couvrais des draps épars. Il se figea, un infime sourire aux lèvres, plus humiliant que s’il m’avait forcé sur le champ. De sa voix grave et rugueuse, assurant l’habitude d’être obéi de tous, Pyrrhus me garantit avec froideur le respect qui m’était dû. Nous nous trouvions en Épire, dans son palais. Il m’avait aperçue inanimée parmi des trépassés. La finesse de ma silhouette tranchant avec la grossièreté des cadavres alentours. L’émoi qu’il avait senti en m’apercevant, ne pouvait le tromper quand à mon sexe. Si j’avais été fille de rien, il m’aurait prise, inconsciente. Mais puisque j’étais la veuve d’Hector, il me laissait quelque délai pour me rendre à lui. Il ne doutait pas de son entreprise. Je lui appartenais déjà. Fascinée et furieuse, j’oscillais entre la volonté de lui trancher la gorge et celle de me jeter à ses pieds. Je tremblais de honte et de désir.
Il restait là, à m’observer sévèrement, prenant plaisir à m’incommoder, certain de ma capitulation imminente. Ulcérée par tant de suffisance, je me jetais sur le couteau. Vif comme l’éclair, il plaqua sa main sur la mienne au moment ou celle si se refermait sur l’arme. Je le défiais d’un air insolent. Il m’offrit un sourire en retour. Je le giflais de mon autre main. La surprise que je lu dans ses yeux m’engaillardie. Sans perdre une seconde, je m’emparais de la dague fixée à son côté. Mais le peu d’avance que j’avais se révéla insuffisant, face à un guerrier de sa trempe. Il serra mon poignet si fort que je fus contrainte d’ouvrir ma main. Puis je ne sais exactement ce qu’il fit, je me senti basculer, cul par dessus tête, ne pesant pas plus qu’une plume, avant de me retrouver pareil à un baluchon sur son épaule, et d’être projetée en arrière sur le lit.
J’étais nue, haletante, et le désir au lieu de la répulsion montait en moi avec une force sauvage. Il ramassa sa dague et la posa sur le lit devant moi avec un air de défi amusé. Je le distrayais ! Puisqu’il en était ainsi, je décidais de le décevoir. Je pris un drap et le nouais à la manière d’un chiton autour de moi, en m’assurant de ne laisser apparaître que mes bras. Puis je m’assis sur le lit en lui tournant le dos. Il attendit un long moment. J’imagine qu’il se croyait plus patient que moi. Mais nous les femmes avons appris ce jeu là bien avant eux. Il faut développer l’esprit lorsque la force brute manque. Évidemment il contourna le lit pour me faire face, et, évidemment je changeais de côté et lui tournais le dos, une nouvelle fois. Il recommença sa manœuvre, je recommençais la mienne. Je gardais les yeux baissés, non en signe de soumission, mais pour lui signifier qu’il n’avait aucune chance de croiser mon regard. Pour cela, il faudrait qu’il se pose à mes genoux. Il accéléra pour me prendre de vitesse. Tentative inutile, je lui offris mon dos une nouvelle fois, lente et raide comme la justice. Il ne bougea plus, je frissonnais en dedans. Qu’allait il faire ? Il était roi et ne supporterait pas longtemps mes refus. Il s’agita dans mon dos. Cela faisait un drôle de bruit. Que fabriquait il ? Je voulais voir ce qu’il préparait, mais c’eut été lui témoigner un intérêt que je lui refusais. Soudain, le drap sur lequel j’étais assise disparut, tiré en arrière m’entraînant bas du lit. Au moment où je me relevai, je le vis se l’enrouler autour de la taille.
Voilà, nous sommes à égalité. Je n’ai plus ni arme ni armure. Nous pouvons reprendre. Je fis mine de me détourner, encore, d’un air de dédain, mais il ne m’en laissa pas le temps. Il bondi par dessus le lit et dans son élan, m’entraîna dans sa chute, roulant au sol. Protégé par ses bras, je ne me fis aucun mal. Je fermais les yeux. Son odeur de mâle, au parfum de myrrhe et de santal m’enivra. Au dessus de moi, son regard troublé de désir, interrogeait le mien. Je restais inerte. Il approcha ses lèvres des miennes, lentement, j’avais envie de l’embrasser, de le serrer de mes jambes crochetées à son corps de guerrier.
Il m’embrassa. Il avait un goût de raisin, sucré et frais. Je mordis sa lèvre si profondément que le goût du sang me rempli la bouche. Il se redressa d’un coup, je resserrais ma prise. Je m’accrochais à lui, le tirant en arrière par les cheveux. Il me repoussait, tantôt sa main sur mes hanches, tantôt sur mon menton, avec ménagement. Il mesurait ses gestes, craignant de me blesser. Il fini par me pincer si violemment la fesse que je due lâcher prise. Je poussai un cri strident en sursautant. Je retombai sur mes pieds en me frottant l’arrière train, pendant qu’il riait tout en se tenant la bouche. Vexée, je fonçai vers la table ou était exposés les victuailles. Je m’emparai de quelques fruits et les lui jetai à la face. Il les évita sans peine. Je lui lançai une corbeille, un gobelet, enfin tout ce qui me tombait sous la main, excepté le couteau que je cachai dans mon dos. Il ne cessait de rire en évitant mes projectiles et s’approchant de moi. Quand il fut à moins d’un pas, il me pris par la chevelure, la tira sèchement en arrière, et me colla à lui. Je me sentais si petite, si frêle dans ses bras immenses ! Il glissa habilement une main sous mon peplos de fortune et explora ma nudité. Bien loin de me sentir souillé par ce geste, je me sentis m’enflammer. Je me débattis pour qu’il me serre un peu plus fort, sentir sa virilité dressée sur mon ventre. Je me contorsionnai habilement, tantôt contre sa main, tantôt contre son vit. Il serrait mes cheveux, agrippait ma hanche pour mieux contrôler mes mouvements. Il oubliait la guerre. D’un petit saut, j’enroulais mes jambes autour de son bassin. Il m’emporta sur le lit, me couvrant de son corps. A l’instant où il quitta ma hanche pour se frayer un chemin au sein de mon intimité, je lui plantais le couteau dans le flanc.
Il cria plus de surprise que de douleur , Pyrrhus avait gagné d’autres combats. Tout en me tenant d’une main, il arracha le poignard de l’autre et le lança à l’autre bout de la chambre. Il me gifla durement, me retourna d’un geste brusque, retroussa mon peplos et me flanqua une majestueuse fessée. Chaque coup me tirait les larmes. Je redoutais la main qui s’abat, mais c’est quand elle se retire que la douleur vient. La peau qui se tire, gonfle et rougit, les marques qui ne manqueront pas d’apparaître, et le sang qui pulse, sous ma peau, dans mon cœur et dans mon ventre. Puis les coups cessèrent. Il me lâcha. Je crus que la blessure l’empêchait de continuer. Je me retournais, inquiète. Il me regardait satisfait, se fichant complètement de l’entaille que je lui avais faite. Il me souri et sans un mot, sans même ramasser ses vêtements au sol, il m’abandonna. Offusquée, en colère, je m’emparais de la dague restée sur la couche et la lui lançait. Elle frôla son oreille et alla se ficher dans un coffre à quelques pas devant lui. J’avais sciemment raté ma cible. Le maniement des armes courtes n’étant plus un secret pour moi. Mais l’œil furieux qu’il me lança me disait qu’il ne l’avait pas compris de la sorte et tandis qu’il fondait sur moi, je cru bien que mon heure était venue. Il attrapa mon visage de ses grandes mains rugueuses et posa un délicat baiser sur ma bouche. Je fus tellement décontenancée par tant de douceur, que je ne me défendis pas. Au contraire, je répondis à son baiser par un autre, et encore un autre. Doucement, tout doucement, il caressa mes cheveux, remettant sagement une mèche rebelle derrière mon oreille. Il embrassa mon nez, mes joues, mes yeux et me serra délicatement sur son cœur. Je plongeais en lui, m’immergeant dans ses bras forts jusqu’à disparaître. Je me laissais couler sur le dos, il m’accompagna lentement. D’une main il me souleva pour m’installer confortablement au milieu de la couche. Il entreprit de m’embrasser sur chaque millimètre carré de peau. Ses lèvres étaient à la fois douces et fermes. De sa langue, apparaissant de temps en temps, il jouait sur ma chair ainsi qu’un musicien sur une kithara. Je m’agrippais à ses bras solides et marqués de cicatrices, le poussant vers mon bas-ventre. Il ne se laissa pas imposer le rythme, il faisait mille détours, s’attardait ça et là, récoltant aux passages maints soupirs. Je sentis ma liqueur se répandre entre mes fesses, quand allait-t-il donc la boire ?
Il commença tout d’abord, par effleurer ma toison de sa langue, puis la faisant pointue, il vint récolter le nectar qui s’écoulait. Je tremblais de plaisir. Il caressait, titillait, me mordillait tour à tour, me rendant folle, au bord des divines convulsions. Mais il me laissait reprendre mon souffle avant de reprendre de plus belle. J’emmêlais mes doigts dans sa chevelure de feu et tirais de toutes mes forces. Je le voulais en moi, maintenant ! Il résista assez pour donner du pris à ma conquête, puis céda lentement. En s’allongeant sur moi, il remonta ma jambe avec son coude. Il me regardait droit dans les yeux. Je me soulevais un peu pour caresser ses testicules. Elles étaient dures et remontées. Je les effleurais du revers de la main, les palpaient, les griffais doucement. Je m’emparais de son chibre. Gonflé, dur et chaud, je le pressais, le serrais, dans un mouvement de va et vient régulier. Me défaisant de sa prise, glissais telle une anguille entre ses jambes, et engouffra son membre avec ardeur. J’allais et venais l’enserrant de mes lèvres écumantes. Il enfonça ses doigts dans les boucles de ma chevelure, les serra fort, et pénétra ma gorge avec une frénésie à peine contenue. Je voulu continuer de l’engloutir, mais il repris son membre et le frotta contre la porte de ma féminité qui s’ouvrit à l’instant. Je fus assaillie, doucement assaillie. Un même râle nous échappa. Arc-bouté sur ses coudes, il lisait sur mon visage, les signes du plaisir qu’il m’offrait. Les deux mains sur son torse, je déchiffrais le sien au grain de sa peau. C’était lent et fort. J’étais sur le fil, à fleur du précipice, mais sans tomber. Je voulais tomber. Je gesticulais, tentais de rompre la cadence, mais il me baisait comme une mécanique rigoureuse. C’était aussi divin qu’insupportable ! Je le giflais violement. Stupéfait, il roula sur le côté. M’accrochant à ses hanches, je donnais un coup de reins et me retrouvais le chevauchant, lui, couché sur le dos. Libérée de son poids, je pouvais maintenant bouger à ma guise. Je m’accroupie au dessus de lui, prenant appuie sur son torse. J’allais et venais en petits allers et retours rapides, puis m’abattais sur lui, reprenais ma cavalcade. J’enroulais mes pieds autour de ses jambes, pesant de tout mon poids, je m’arrimais à lui, serrant, pressant, poussant pour l’engloutir au plus profond. Puis m’immobilisais, jusqu’à ce que, inquiet, il ouvre les yeux. Alors je reprenais ma sarabande. Je jubilais chaque fois qu’un râle, qu’un soupir lui échappait. Il était mien, je tenais tout son être entre mes cuisses.
Il le comprit à mon sourire, à l’ivresse qui s’était emparée de moi. Il se redressa. Je ne pu l’en empêcher, moi, trop légère et lui trop puissant. Il me retourna avec une facilité agaçante. Nous étions à genoux, collés l’un à l’autre, son souffle à mon oreille. Il me serrait fort dans ses bras. J’aimais le sentir si puissant et si vulnérable. Il me poussa, et je tombais à quatre pattes, lui offrant la vue de ma croupe offerte, dégoulinante. Je me cambrais, je sentais fort le sexe et la luxure. Il céda encore à mon empire. Il me prit rudement, serrant ma taille et me cambrant davantage. Puis se penchant sur moi, il me mordit le cou, comme le font les bêtes. Cette simple morsure eu raison de moi. J’explosais enfin. Ma jouissance m’emporta avec violence. Il attendit que je lui revienne pour m’offrir sa semence en saccades.
Songe Céphise, songe qu’aucun de nous n’a jamais ni gagné ni perdu. Nous n’avons pourtant jamais cessé de nous livrer bataille, même après trois enfants, même après qu’Hermione, son épouse ait tenté de me tuer et que Pêleús, grand père de Pyrrhus, roi de Phthie en Thessalie, me sauva. Même alors que j’épousais Hélénos son frère, nous fondîmes la ville de Pergame en souvenir de la citadelle de Troie.