Depuis que je lis les actualités, je ne lis plus de romans. J’ai
passé des années à ne suivre les actus qu’au travers des
discussions entre amis. J’apprenais les événements après tout le
monde. Étaient ce les plus importants ? Certainement pas. Les
plus marquants ? Pas toujours. Je ne comprenais pas l’actualité
et j’avais sans cesse la désagréable impression d’avoir raté
un train. Voir même d’avoir raté le passage au TGV.
Depuis
plusieurs années, je me tiens quotidiennement au courant. Pas sur
tout, bien sûr, c’est impossible. Je privilégie la politique
sociale et le féminisme. Puis comme je suis une accro de fb et que
j’y ai des amis très divers, je peux aussi bien suivre la
politique internationale que le sort des animaux, ou n’importe
quelle connerie facebookienne. Je passe aussi pas mal de temps à
vérifier les posts et articles que je lis, chercher des sources
différentes, histoire contrôler ce que je mets dans ma tête et de
mieux l’intégrer.
Suis-je plus heureuse ? Non. La
planète ou plus humblement mon entourage se porte t il mieux depuis
que je m’informe ? Mouarf ! Quel impact a donc eu ce
changement de comportement sur ma vie ?
Ce qui est
certain, c’est que ça me déprime. Être plus au fait des horreurs
du monde ne me rend pas plus combative. Je dirais même, à mon grand
regret, que ça me fige d’effroi. Je me sens seule, impuissante,
faible isolée… Bref, vous voyez ce que je veux dire. Oui, bien
sûr, j’ai pensé aux associations militante. Cependant, à ce
sujet, je n’ai pas changé, je suis très nul en collectifs,
groupes, mouvements, etc. Mon travail pour l’essentiel se passe à
gérer des groupes, je réserve mon temps libre à la solitude ou aux
petits comités. Bref.
Je n’arrive pas à me sortir de
cet état de culpabilité généré par le flot de nouvelles que je
reçois du monde entier. Je me sens coupable d’être complice
malgré moi du capitalisme qui détruit la planète. Je fais de mon
mieux, je cherche à m’améliorer, mais ça n’enlève rien à mon
sentiment d’impuissance et ma culpabilité. ( Comme le disait
Lhassa dans une de ses chansons,
Je me sens coupable
Parce
que j’ai l’habitude
C’est la seule chose
Que je peux
faire
Avec une certaine
Certitude, c’est rassurant
De
penser, vue je suis sûre
De ne pas me tromper
Quand il
s’agit
De la question
De ma grande culpabilité…
Mais
ça, c’est une autre question.)
Je ne crois pas non plus qu’en
étant une écolo exemplaire, une activiste sur investie, ça y
changerait quoi que ce soit. Tout le monde doit y mettre du sien,
tout le monde, ça veut dire aussi les grandes entreprises et leurs
sbires politiques. Bref.
Je n’arrive pas à décrocher.
Revenir en arrière, replonger dans mon univers perso et me refermer
sur moi. Je ne parle pas de m’enfermer chez moi ou dans une grotte
spirituelle. D’une, mon travail ne me le permettrait pas, deux, je
n’ai aucun goût pour les grottes. Mais de me couper des infos, de
lire des livres, regarder de nouveau des films qui me touchent plutôt
que ceux qui me distraient, des documentaires qui m’enrichissent
plutôt que ceux qui me dépriment.
Dis comme ça, tout
de suite, ça fait moins peur et je me dis qu’il y a autre chose
que cette culpabilité à l’idée de fermer les yeux devant les
actus, de scroller mon fil alarmé.
Quoi donc ? Besoin de faire parti d’un groupe ? Waouh, je
fais parti de la grande communauté Fb. Mouarf ! Non. Besoin de
reconnaissance de la communauté des gens concernés et informés ?
Un peu de fatuité pour gonfler ma confiance en moi, n’est pas
exclue. Mon histoire familiale me conduit clairement dans cette
direction. J’ai une sœur qui m’a dit, au moment où je publiais
de plus en plus de posts politiques, que je « m’améliorais ».
Avant, j’étais superficielle, grâce à face de book, je peux
prétendre à entrer un jour dans le cercle des gens concernés.
Pitoyable. Être concernée ne me rend pas heureuse, ni vous,
d’ailleurs.
De la flemme aussi ? Du manque de
courage ? Ne pas avoir envie de pleurer devant un beau film,
refermer le livre qui me dérangera trop, me demandera trop
d’effort ? Peut-être bien, j’avoue. Si je fais l’économie
du coût émotionnel et intellectuel des news, retrouverai-je cette
disponibilité ?
En même temps, le système d’infos
actuel à ceci de navrant qu’elles se succèdent à un rythme
effréné. Un drame en poussant un autre, une polémique chassant
l’autre, les pétitions s’entassent, tout le monde braille et la
vie continue. C’est est un gigantesque fast-food, vite ingéré,
vite digéré, vite chié.
Un peu plus d’art dans la
vie et moins de cérébralité. J’ai longtemps cru que comprendre
me permettrait plus de liberté, davantage de paix intérieure. La
compréhension arme performante contre l’émotionnel négatif.
C’est vrai pour un certain nombre de choses. Par exemple, quand je
suis malade, je l’accepte mieux quand je sais ce que j’ai. Je
comprends et m’adapte mieux aux comportements que je comprends. Ce
qui ne veut pas dire que je laisse faire, si le comportement me nuit.
Mais en ce qui concerne le monde, entre le réchauffement climatique,
les inégalités sociales, la violence et j’en passe, les enjeux
sont trop grands ! La globalisation de l’information me rend
impuissante, catatonique.
Comment je fais pour rendre le
monde meilleur ? Quelle est mon implication dans le monde
social ? Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je sais
faire ?
Quand j’en ai l’occasion, je donne à manger
aux clodos de mon quartier. Ca, je peux, mais je ne sais pas quoi en
penser. Quand je donne des cours de théâtre, j’anime des ateliers
de confiance en soi, je contribue, à ma mesure, au développement
des humains que je croise. J’espère que si je sème le doute dans
une seule tête, je lui donne la capacité de s’interroger,
d’interroger le monde dans lequel elle vit. Ma mère m’a dit un
jour une phrase qui m’a marqué : le doute sème la liberté.
Et Aristote disait, citation qui fait beaucoup plus classe que celle
de ma mère : le doute est le commencement de la sagesse. Bref.
J’ai l’impression d’agir au monde quand une personne qui a
fréquenté mes ateliers, repart avec quelque chose à mouliner.
Quand je fais mon métier pour peau de balle et pour un public qui
n’a pas les moyens de se payer un coach ou des cours de théâtre,
je me dis que je participe un peu au bonheur des gens, à leur
culture, leur ouverture d’esprit. Est ce assez ?
Ce
n’est pas grand-chose. À quel moment peut-on se contenter de ce que
l’on fait ? Je n’ai pas la prétention de connaître la
vérité et donc pas la tentation de prêcher ni d’entrer en
politique. J’essaie de balayer devant ma porte et de prêter main
forte à ceux qui ont besoin d’aide pour faire de même. C’est
peut-être pas si mal, non, si ?
Quoi j’essaie de me justifier et de me réconforter ?
J’essaie de me déculpabiliser, de lâcher prise avec les
infos parce que ça ne sert à rien d’être surinformé. Je crois
qu’il est là, le truc. Trouver le juste-milieu entre l’information
utile et la surinformation. L’information qui permet de comprendre
et celle qui noie. Surtout, parce que je ne suis pas naturellement
douée pour le juste-milieu, la constance, ni la modération. Même
si j’y travaille. Oups !
Je vous entends penser :
« Mais qu’est-ce qu’elle nous fait chier ? Si elle a
envie de lire ou de regarder des films intelligents et sensibles,
qu’elle le fasse ! Pourquoi se prendre la tête pour ça ?
Et surtout pourquoi nous la prendre à nous ?
Alors,
d’une, je ne vous prends pas la tête, j’ai forcé personne à me
lire, et toc !
De deux, je me prends la tête parce que je
n’arrive pas à prendre un livre, justement. Noméo ! Et parce
que les gestes qui nous relient au monde ne sont pas anodins. Lire un
livre, s’imprégner de la pensée d’un.e autre, la comprendre, la
transformer la faire voyager nous lie, crée l’humanité… Enfin,
je crois.
C’était quoi la question ? C’est quoi
mon problème ? Qu’est-ce qui ne me va pas,
exactement ?
J’adore facebook parce qu’il fait ça
un peu aussi. Il m’apporte des connaissances, de la nouveauté. Il
me donne aussi l’impression d’une forme de reconnaissance. Il me
distrait et ne me demande pas un effort considérable.
Ce qu’il
me coûte ? Du temps, trop de temps, la des-habituation (ce se
dit pas) à l’effort intellectuel et à la concentration. Il me
dilue.
Je regrette de ne plus réussir à lire des romans
qui me demandent un peu d’implication. Regarder des films auxquels
je continuerai a penser dans 10 ans. Développer une culture
artistique profonde et sensible.
Les infos me
dépriment.
Je culpabilise de ne pas agir activement
contre le déclin du monde, sa violence et son absurdité.
Je
regrette de n’avoir pas une activité artistique plus riche.
Est
ce que tout est lié ? Y a-t-il des liens de cause à effets ou
juste une corrélation ? Est ce que je me cherche des
excuses ?
Suis-je un être veule, lâche, une merde
innommable ?
Suis-je comme tout le monde, comme tout
ceux que nous dénigrons à qui mieux mieux sur les réseaux sociaux,
un humain moyen qui s’emmêle les pinceaux entre paille et
poutre ?
Et merde !
Photo :http://www.anneabgott.com/