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Stop !

Cet après midi, j’entends, dans la rue, un enfant hurler. Ça arrive assez souvent dans le quartier, mais là, les cris étaient particulièrement inquiétants. Je vais donc à mon balcon pour voir, au cas où. Sur le trottoir d’en face, un homme bat un jeune garçon. Effarée par la violence des coups, je reste un moment figée. Puis je me réveille. De mon huitième étage je hurle, vocifère, tente d’interpeller les passants indifférents. J’appelle le 17 : On envoie une voiture. L’enfant pleure, il se cache sous une camionnette stationnée. Une vieille femme s’arrête, parle à l’homme qui semble l’écouter. L’enfant sort de sous le véhicule. L’homme contourne la vieille, attrape l’enfant, le cogne encore. La police n’arrive pas. L’homme coince l’enfant entre ses jambes, coups de poings dans la figure. Je hurle encore. « Stop ! Stop ! Arrêtez le ! » Un couple, des hommes, des femmes passent, se retournent sur la scène, pas un ne s’arrête, pas un ne sort son téléphone. Je rappelle le 17. La voiture est partie.

L’enfant est debout. Ils marchent côte à côte, l’enfant se retourne contre l’adulte, frappe, en criant, l’homme réplique avec un coup porté à la tête. L’enfant s’écroule. La voiture n’est toujours pas là. Je hurle. Coups de pied dans le dos, dans les jambes de l’enfant qui fuit en rampant. L’homme attrape une jambe et le traine sur le trottoir rugueux. Je n’en peux plus, il faut que ça cesse. Je descend.

Quand j’arrive sur le trottoir d’en face, l’enfant  (12 ou 13 ans) est assis sur le capot d’une voiture, en larmes, une pommette en sang. L’homme (20, 25 ans) semble calme quand il lui assène un nouveau coup qui le fait tomber de la voiture. J’interviens. L’homme fonce vers moi, me parle à trois centimètres ses yeux durs, plantés dans les miens.

– Ne cherchez pas à m’intimider, vous ne me faites pas peur. Reculez, monsieur ! Il recule.

C’est l’enfant, maintenant qui m’insulte. J’ai rien à dire, c’est son frère. Que la raison invoquée ne me semble pas pertinente le dépasse. Non, le fait d’être de la même famille ne justifie pas une telle violence. La femme qui avait suivi se mêle de la discussion.

– C’est le petit qui cherche, il est pas allé à l’école. Ils s’attendent visiblement tous les trois, a ce que je me ravise, mais têtue bourrique, j’insiste. Non, on ne frappe pas pour ça. Rien d’ailleurs ne peut justifier un tel comportement.

– C’est à cause de gens comme vous que la société avance pas ! Me dit l’homme. Alors là j’en reste bouche bée. Je ne sais même plus ce que j’ai répondu. A un moment, je lui ai dit qu’il se comportait comme une bête sauvage. Il m’a demandé comment mes ancêtres s’étaient comportés en Afrique, ce à quoi j’ai répondu, « comme vous aujourd’hui, et bien pire, mais je ne vois pas en quoi ça vous autorise à maltraiter votre petit frère. » Il a répondu qu’ils étaient en train de prendre le relais, qu’ils nous coloniseraient. Il m’a dit aussi qu’ il savait où j’habitais. J’ai demandé si c’était une menace, il m’a assuré que c’était une promesse. J’ai parlé de la police. Nous n’étions dupe ni lui ni moi de la portée de cette menace. Il m’a d’ailleurs donné son adresse, que je lui ai fait répéter ainsi que son nom. Moi qui ne les retiens jamais, là, ça s’est imprimé sans difficulté. Pendant ce face à face l’enfant s’était éloigné. J’allais pas passer la journée dans la rue, je lui ai tourné le dos et suis rentrée chez moi.

Pendant le quart d’heure qu’a duré notre altercation, pas une fois je n’ai reculé. Je n’ai pas fait preuve d’une répartie extraordinaire, J’ai beaucoup dit « mais enfin, c’est pas une raison ! »  J’ai employé des phrases, un vocabulaire totalement inadapté à la situation et à mon interlocuteur. J’ai parlé de la lie de l’humanité, de l’inanité de son raisonnement, et de son effarante violence morbide. Pourquoi des phrases pareilles ? Mais j’ai tenu tête, je n’ai pas reculé. J’étais vraiment seule dans cette rue, et je n’ai pas reculé.

Ce qui m’a le plus déstabilisé, c’est son calme sa certitude d’être dans son bon droit. C’était moi qui tournais pas rond, pas lui.

La police est venue, plus tard, à la maison. J’ai fait une déposition, transmis le signalement, le nom et l’adresse de l’homme.

Je suis allée travailler, et puis une gentille personne m’a demandé si ça allait. J’ai raconté la mésaventure, j’ai pleuré et puis j’ai fait mon atelier théâtre. Ensuite je suis allée déposer une main courante. La famille est connue des services de police. L’enfant est fiché. J’ai compris sans qu’ils ne me le disent clairement, qu’il faisait le gué pour les dealer du coin. Et j’ai fini par me demander, si en fait, l’homme ne le corrigeait pas à cause de ça. Il bossait avec les dealer au lieu d’aller à l’école. N’empêche ! Est-ce que ça justifie une telle violence ? On m’a demandé d’identifier l’individu sur une photo. Difficile.  La police me dit que ce sont les mineurs les plus violents. Quand il sont blessés lors d’une rixe, ce sont des mineurs qui sont en cause. Pour le coup, j’aurais presque envie de retrouver l’homme pour en avoir le cœur net. Je suis rentrée chez moi. Je suis fatiguée, triste, un peu désespérée.

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