Uuuh, c’est de pire en pire l’ambiance ! C’est encore à cause des « copains ». Mais maman a bien compris, c’est une copine qu’il a en vue. Alors il la travaille. Il met la pression. Il fait la gueule, il pique des colères… Et puis ce soir, il a lâché le morceau.
— On pourrait inviter J. B., elle est chez elle, J. B. !
Maman a répondu:
— J. B. ? Évidemment elle n’est pas en vacances, elle est toujours fauchée !
Je l’aime pas celle là. Elle est hypocrite et elle se mêle toujours de ce qui la regarde pas. Elle dit des trucs sur nous. Qu’on est pas aimable, qu’on est des emmerdeuses. Ben tient, personne peut la piffer à la maison, et puis elle est moche. Elle a des grosses loches qui lui tombent sur le ventre, elle a jamais de soutif et elle met des trucs transparents. Ma frangine dit qu’elle a la chatte en chaleur. Excellent ! C’est tout à fait ça. J’ai vu celle des voisins, enfin leur « chat femelle » a eu ses chaleurs. Eh bien c’est pareil. Ça me fait marrer, j’adore.
J’aime pas qu’elle vienne foutre le bordel à la maison. Elle est copine, un peu, avec maman, mais pas tout le temps.
Maman veut pas qu’elle vienne, mais papa a décidé de s’en foutre. Il dit qu’il va lui téléphoner pour l’inviter. Il faut aller à la cabine du village, y a pas le téléphone à la maison.
Alors là, c’est super, parce qu’il veut pas aller téléphoner tout seul. Du coup, il me propose de me faire conduire la voiture. Tu parles si j’ai hésité, depuis le temps que j’attends ça !
On est allé à la voiture. Papa s’est assis au volant, moi sur ses genoux. Je faisais le volant, lui les pédales, elles sont trop loin pour moi. C’est trop cool de conduire. En plus, en montagne, ça tourne tout le temps. Je conduis la voiture et j’ai mon papa pour moi toute seule ! Je suis super contente. Il a posé ses deux grosses paluches sur mes cuisses. Sans blague, il a des mains de géant! Moi, les miennes, quand on fait la taille, elles lui arrivent même pas aux doigts. Faut dire qu’il est grand et fort mon papa. Il mesure 1, 90 mètre et pèse 110 kg. Un peu plus je crois, mais il veut pas le dire.
Je suis sur les genoux de papa. La vache ce que je suis fière ! Concentrée sur la route, y a plein de virage et c’est super dur. Waou ! C’est génial. Je me débrouille comme une chef. Dès que j’ai 18 ans, je passe mon permis. Je l’aurai du premier coup, c’est trop sûr. Je suis trop contente, excitée comme une puce, je conduis la voiture de mon père. Ça va en jeter à la rentrée avec les copains.
Les mains géantes de papa vont et viennent sur mes cuisses. Il remonte ma robe. Ma robe noire avec des petites fleurs et des bretelles. J’adore cette robe. Elle est trop belle.
Papa me tripote les cuisses. Il le fait tout le temps. Dès qu’il a l’occasion de nous pincer les fesses ou les tétons en disant « Oh ! Mais ça pousse ! » Il le fait. Maman aussi elle le fait. Ce que ça peut m’énerver ! En plus, quand je râle, ils se foutent de ma gueule.
J’ai une drôle d’impression. C’est pas comme d’habitude. L’angoisse me prend. J’ai jamais ressenti ça avant. Je sais pas ce qui se passe, mais je sens que c’est pas bien.
Papa met sa main dans ma culotte, et puis il enfonce son doigt. J’attends, ça fait pas mal, ça fait des choses et je sens que ces choses… C’est bien et c’est pas bien. Tout est bizarre, en même temps, je suis contente que papa soit gentil avec moi, qu’il me caresse, c’est comme un câlin, et c’est pas un câlin. Je sens ses ongles dans mon ventre, je veux pas qu’il soit dans mon ventre. C’est Mon ventre. Et puis ça tire. Il bouge son doigt. Je voudrais qu’il l’enlève. J’ai mal au ventre maintenant. Papa me chuchote à l’oreille : « C’est bon, t’aimes ça ? » maintenant je suis sûre que c’est pas bien. Le son de sa voix me dégoûte, il parle comme un gros dégueulasse, comme à la télé. Papa est en train de me toucher comme il touche ses copines. Mais je suis pas sa copine, je veux pas être sa copine ! Ses copines, elles sont toutes grosses et moches. « C’est bon, t’aimes ça ? » Dans ma tête : Papa arrête ! Arrête ! Je m’accroche au volant, je regarde la route, j’réponds pas. Je sais pas quoi dire. Je suis bloquée. Il insiste et insiste encore. « C’est bon, t’aimes ça ? » J’ai peur, si je dis non, il va m’engueuler, me mettre une dérouillé. Si je dis oui, il va continuer et je veux pas qu’il continue. S’il pouvait juste m’apprendre à conduire et qu’après, il me prenne dans ses bras, qu’il me chatouille, qu’il me dise que je suis la plus belle ; J’ai peur ! Tellement peur ! Je dis… « Oui. » Ce petit mot lâché du bout des lèvres, c’est comme si j’étais arrachée tout entière.
Comment vivre maintenant ? J’ai peur de papa, je crains la réaction de maman si elle l’apprend. J’ai peur de le lui dire. Je m’en veux tellement ! Je suis qu’une merde. Une Salope. NON ! C’est pas vrai. NON ! C’est pas moi la méchante ! J’ai envie de lui casser la gueule, j’ai envie de mourir. Les deux mains crispées sur le volant, il faut que je fasse attention à la route. Je panique, je sais pas quoi faire, trop de pensées, trop d’images, trop de peur. Je voudrais que papa m’aime, j’aime mon papa. C’est pas souvent qu’il s’occupe de moi. Je voudrais qu’il soit mon papa à moi. J’ai honte, honte, si honte ! Faut tout effacer, revenir en arrière.
On arrive à la cabine téléphonique. J’attends dans la voiture, j’attends. J’espère qu’on va rentrer normalement et que rien se serait passé. Ni vu ni connu j’t’embrouille. Tout redeviendrait comme avant. Il remonte dans la voiture. C’est occupé. Faut pas qu’il recommence !
On est rentrés, je sais pas comment. J’ai tout oublié.
On traîne dehors à table. Il fait bon. Je suis assise par terre à côté de maman. Il veut remonter à la cabine, il veut la rappeler, il veut que je remonte avec lui. Je veux pas. Maman m’y pousse. Papa insiste, maman, aussi. Mais je veux pas !!! Je suis dans les bras de maman. Je cherche sa protection. Elle me dit : « Mais c’est quoi ce caprice ? Aller, accompagne ton père ! » Je suis prise au piège. Faudrait que je dise tout à maman, mais je peux pas. Comment fuir ? Ça y est ! J’ai trouvé ! J’ai une idée merveilleuse ! Je suis certaine que ça va marcher ! L’innocence de ma Petite Sœur. Elle a neuf ans, les parents la traite comme un ange qui flotte. Il n’osera pas. Je pose ma condition, nous partons. Le petit ange s’installe sur le siège de maman, moi sur les genoux de papa. Je suis à l’abri, tout va bien. Je m’amuse, j’essaye de corriger mes trajectoires, de mieux contrôler le volant. J’ai treize ans et demi et je conduis la voiture de mon papa. Ce que je suis fière !
Ouais ben l’innocence, ça sert à rien. Papa baisse ma robe, j’ai les seins nus. Ces seins qui m’encombrent. Papa les tripote à pleine main. Je pleure enfin. Enfin j’arrive à pleurer. Je remercie mes larmes de couler. Je suis sûre qu’elles vont l’arrêter. Il va comprendre qu’il me fait du mal, et mon papa veut pas me faire de mal. Alors il va s’arrêter, il va me consoler. Il va dire qu’il savait pas qu’il me faisait du mal. Je serai sa petite fille chérie. Mais il continue. Peut-être qu’il ne voit pas mes larmes, alors je les essuie en reniflant. Il continue encore. J’ai peur de croiser des voitures et que des gens me voient. J’ai honte. J’ai honte de ne rien faire, de ne pas le faire stopper et d’avoir si peur. J’ai honte d’avoir fait venir ma Petite Sœur et qu’à cause de moi, elle voit tout ça. Je la regarde du coin de l’œil. Je ne sais pas si elle voit. Je ne sais pas si elle comprend. Mais non, elle est trop petite. Elle regarde la route. Elle peut pas comprendre. Elle ne doit pas comprendre. Elle est trop petite. J’ai honte. Après, je sais pas, je me souviens plus.
Maintenant, on reste dehors à profiter de la douceur du temps. Maman dit à papa que cette nuit elle espère qu’il va pas ronfler parce qu’il l’empêche de dormir, qu’elle est crevée et que la nuit dernière elle a été obligée d’aller dormir dans la voiture. Alors ils se lancent des vannes, toujours les mêmes.
« — Je ne vois pas comment tu peux m’entendre ronfler quand je ne dors pas parce que tu ronfles.
— Arrêtes, tu me réveilles !
— Tu parles ! C’est ton propre ronflement qui te réveille et tu m’accuses.
Je ne ronfle pas, je respire fort ! »
Etc. etc. Et sur un ton de grand seigneur magnanime, papa dit qu’il va dormir avec les petites et que la grande dormira avec maman. La grande avec maman, les petites avec papa, voilà, ils ont trouvé la solution.
NON ! Je veux hurler mais j’peux pas! Je peux pas parler, ni réfléchir, Faut trouver une solution ! Je suis coincée ! Je sais qu’il me veut. Je peux pas fuir. Pour me défendre, il faudrait que je parle, j’ose pas l’accuser. J’ai peur. Je suis muette. Figée dedans et dehors. Mon papa, que j’aime. La seule chose que je trouve, c’est d’aller me réfugier dans le petit lit de notre chambre. Y a un petit lit et un grand lit. Si je vais dans le petit lit, papa est tellement gros qu’il pourra pas venir dedans.
Le petit lit est collé au grand. Petit ange s’est couchée de mon côté. Il lui dit de se pousser et recommence tout, depuis le début. Il soulève ma chemise de nuit ; il touche mon corps, embrasse ma bouche, mes seins, mon ventre, mon sexe. Papa fouille dans ma culotte, la retire. Je veux plus vivre. J’suis partie de mon corps, je le laisse là, allongé, bras et jambes serrés, raide, glacé, immobile. Il se soulève du grand lit et je le vois se coucher sur moi. Je vois son sexe énorme tendu vers moi. Je vois son énorme machin qu’il veut rentrer dans mon ventre. Il va me déchirer toute entière, me poignarder, me tuer. NON !
Là, je sais plus trop bien.
Une force intérieure explose, c’est la vie ou la mort. J’ai peur, je le repousse. Je me débats, fait du bruit. Je me défends, enfin je tape mes petits poings ridicules sur son énorme torse nu et je dis d’une petite, Non. Non. Non. C’est tout petit, je sais pas s’il m’entend. En fait, je ne sais même pas si j’ai vraiment parlé … Je suis surprise de le voir retourner dans le grand lit, me tourner le dos, sans un mot et dormir toute la nuit comme un gros porc. Je distingue sa monstrueuse silhouette dans la pénombre. Il me fait si peur, je le hais du plus profond de mon âme, et je l’aime tant. J’ai honte de continuer à l’aimer, mon papa. Mon papa est un monstre, je suis la fille d’un monstre. Je suis un monstre.
Toute la nuit je pense. Alors il suffisait de dire non. C’était aussi simple que ça ! Pourquoi j’ai attendu tout ce temps ? C’est parce que je suis mauvaise et vicieuse. Je suis comme lui. Si j’avais dit non tout de suite il n’aurait rien fait. Je me déteste. Je suis sale, méchante et triste. J’ai mal, j’ai envie de mourir.
J’ai écris la première version de ce texte, je devais avoir 14 ans. Puis je l’ai réécris, l’ai mis dans un livre qui n’est pas publié. Depuis, j’ai du le mettre plusieurs fois sur un blog, mais je ne l’ai jamais relu dans sa totalité. Je n’y arrive pas. Merci de l’avoir lu. Merci de regarder autour de vous. Mon entourage était aveugle et sourd. Ouvrez vous yeux, vos oreilles et votre cœur, et agissez.
Aude, que je ne connais pas… Aude que je découvre au fil des liens… Akinou… Puis Luciole… Puis Aude… Autant de cœurs brisés, d’innocences volées, de corps dérobés…
Colères, tristesses, rages… Et sentiments d’impuissance…
Mais aussi force de vie, chez vous toutes, élan de vie qui, malgré les violences subies, ne donne pas raison à l’agresseur mais à la vie en vous.
La créativité pour se dire, se crier parfois, et les soins qui apaisent…
Aude, j’ entends bien que le chemin est long. Courage.
Un jour être libre…
Bouleversant. Quel courage à seulement 13 ans pour protéger votre petite soeur. Quoi de pire que des parents qui détruisent leurs enfants… Et quoi de plus beau que d’arriver à y survivre. Bravo
Magnifique texte !