Samedi 21 mars
13h
Ce matin, j’ai été réveillée bien trop tôt par la vibration incessante de mon téléphone. Je n’ai pas pensé à le mettre en mode « ne pas déranger », je n’ai pas réussi à me rendormir. Du coup, je suis allée faire des courses tôt. Je ne sais pas si c’est l’ambiance ou mon manque de sommeil, mais j’ai été prise d’une grosse vague de tristesse. À moins que ce ne soit les articles que j’ai lu qui nous expliquent bien comme notre gouvernement ne lâchera rien, que ce qui prime c’est encore et toujours l’économie et que l’on doit tous être à son service.
Économie, Dieu suprême
Économie, dieu suprême pour nous cacher que ce sont ces enfoirés de capitalistes qui sont responsables de la merde dans laquelle on vit. Quand certains s’exaspèrent sur le quidam qui continue de se promener dans la rue, moi, je m’exaspère contre le gouvernement. Le gouvernement qui pense qu’il est plus important de continuer de construire des bâtiments de luxe plutôt que de protéger les ouvriers. Je m’exaspère contre la propagande rabâchant que les masques ne servent à rien. Qu’au contraire, ils pourraient être contre productifs. Seulement pour masquer qu’il n’en font plus réserve. La pénurie est due à leur obsession de rentabilité. Fonctionner en flux tendu, pour les hôpitaux, c’est de la connerie en barre. C’est même mortifère.
Effectivement, les masques chirurgicaux ne servent pas à se protéger. Ils servent à protéger les autres. C’est pas important, ça ? Étant donné que personne n’est testé et que le temps d’incubation est long, que certains développent la maladie sans symptôme, sans masque, nous sommes tous potentiellement contaminants.
Quid des gens qui ne sont rien ?
Et quid de la situation financière des petits, quid des personnes seules avec enfants en bas âge ? Que fait on des enfants quand l’adulte est contaminé ? Il faut aller travailler pour des entreprises d’e.commerce, mais les maraudes et les travailleurs sociaux sont cloîtrés chez eux. On verbalise des infirmières qui vont bosser, avec attestation de l’employeur, mais sans attestation sur l’honneur, on verbalise des sdf, et j’en oublie… Mais putain de bordel, on vit dans quel monde ? C’est quoi nos valeurs ? Redécouvrir la poésie dans son F12 à Paris ou sa maison secondaire sur l’Île de Ré ?
Voilà, maintenant, je ne suis plus triste, je suis en colère. C’est malin !
13h30
C’est le 6 ème jour de confinement. C’est rien, 6 jours. J’ai fait plus, seule, et sans sortir du tout. Cet immobilisme forcé, qui n’est pas des vacances, avec comme ouverture sur le monde les réseaux sociaux, dans ce contexte de maladie et de graves injustice sociale, me fait me sentir totalement inutile. Je n’ai jamais été persuadée que ma place dans le monde était spéciale, (j’en ai rêvé, mais ne l’ai jamais cru) mais là …
Là, je trouve difficilement supportable de faire mon possible pour tromper l’ennui alors qu’il y a des gens qui prennent des risques pour notre santé à tous. Une de mes élèves, qui est assistante sociale, m’a dit qu’il existait un réseau qui permettait d’aider les soignants, pour deux choses, la garde d’enfants et faire les courses. Je m’y suis inscrite. J’espère qu’on m’appellera. Ça s’appelle :
En première ligne
Au fond, maintenant, et je ne sais pas combien de temps ça durera, j’ai envie de changer de vie. Me tirer d’ici aller rejoindre mon mec, et trouver un boulot qui a du sens. Parce que le mien est sympa, mais il sert à rien.
15h30
Ma sœur m’a appelé. On ne s’est jamais eu autant au téléphone depuis des années. Deux fois en une semaine et chaque fois plus d’une heure. Même en tête-à-tête, ça fait une éternité qu’on n’a pas passé autant de temps ensemble.
19h40
J’ai passé le reste de l’après-midi à faire de la broderie. C’est l’ouvrage en photo. C’est de très mauvais goût, je sais. Je suis à peu près suis certaine de choquer… Même si ce n’est mon intention. C’est une façon de conjurer le sort, d’envoyer promener l’angoisse, la peine, et mon terrible sentiment d’impuissance. C’est moindre mal, mon blog n’est pas envahi de lecteurs. Bien fait pour moi. Je les ai tous perdus par manque de régularité. Non, j’ai déserté mon blog bien avant eux. Mais ce n’est pas grave. J’écris pour un lecteur hypothétique. Lui m’est fidèle.